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Avatar de Benoît de Montecler

« En bref, le facteur environnemental reste le principal facteur quand on étudie la mobilité sociale ou la réussite d’une personne. »

Cet article tombe à pic, je viens de lire une thèse différente résumée dans le livre de Laurent Alexandre « la guerre des intelligences 2023 » p. 279 (Ch. Bourdieu avait tout faux), selon 3 études sur des jumeaux, l’environnement n’a que très peu d’impact sur la réussite à l’école, l’ADN en détermine plus de 66% à 17 ans. Le QI est donc héréditaire ce qui impacterait logiquement les admissions aux écoles même si ce n’est pas le seul facteur.

Auriez vous un éclairage à apporter par rapport à ces 3 études pour faire avancer la réflexion ? Merci !

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Avatar de Guillaume Potier

Romain,

Merci pour cet article ; il n’en demeure pas moins qu’en proclamant la « mort » de la méritocratie tu me parais jeter le bébé de l’effort avec l’eau du déterminisme. L’institution n’est certes pas indemne de critiques — Michael Young, qui forgea le terme en 1958, l’avait lui‑même conçu comme une satire dénonçant l’autosatisfaction des gagnants du système !

Plus récemment, Michael Sandel a montré comment l’idéologie méritocratique, captée par le capitalisme tardif, nourrit le ressentiment de ceux à qui l’on répète qu’ils « méritent » leur déclassement.

Cependant, confondre la perversion contemporaine du concept avec son essence revient à condamner la justice parce qu’elle engendre parfois l’injustice. Il existe, me semble‑t‑il, plusieurs figures du mérite :

Le mérite‑diplôme occidental, que tu déconstruis à juste titre ;

Le mérite‑création des entrepreneurs — tu en es l’exemple vivant, tout comme l’entreprise que nous avons co‑fondée en 2010 ;

Le mérite‑maîtrise, incarné par les traditions artisanales d’Asie.

C’est sur ce troisième visage que je voudrais m’attarder. Au Japon, le titre de Takumi n’est pas l’apanage d’une élite née dans les bonnes écoles, mais la conséquence d’années — souvent de décennies — de pratique délibérée ; l’atelier Gyokusendō, fondé en 1816, en offre une illustration éloquente : la septième génération de la famille Tamagawa perpétue une technique de martelage du cuivre transmise et raffinée depuis plus de deux siècles, couronnée en 2010 par le titre de « Trésor national vivant ».

Ce modèle met en lumière une autre lecture de la réussite : la reconnaissance ne se mesure ni au portefeuille ni au classement de Shanghai, mais à la capacité d’inscrire son geste dans une chaîne intergénérationnelle d’excellence. Le Takumi ressemble davantage à l’idéale areté grecque — vertu accomplie dans l’acte même — qu’aux palmarès de Forbes.

De là découle une distinction nécessaire :

Égalité des points de départ (que nos sociétés n’assurent pas entièrement) ;

Égalité de considération pour la diversité des talents et des formes de valeur.

Là où la méritocratie scolaire occidentale réduit le mérite à la compétition quantitative de l’examen, la tradition Takumi rappelle qu’il peut aussi se loger dans la lenteur, l’abnégation, la beauté du geste — dimensions qui transcendent le capital économique et même le quotient intellectuel.

En ce sens, plutôt que d’enterrer la méritocratie, je proposerais d’en restaurer une version pluraliste : accepter qu’il y ait des mérites au pluriel, chacun adossé à ses critères propres — la justesse d’un trait de burin, la clarté d’une démonstration mathématique, la ferveur d’un service à la collectivité. Ce pluralisme impose certes de corriger les inégalités structurelles que tu dénonces ; mais il prévient aussi le nihilisme consistant à nier toute place à l’effort, à la persévérance, à la discipline.

Enfin, l’universalité de la condition humaine commande de ne pas cloîtrer notre analyse dans un angle euro‑américain. D’Abu Dhabi, où l’on honore les maîtres fauconniers, à l’Allemagne du Meisterbrief, nombre de cultures distinguent, protègent et célèbrent la compétence patiemment acquise. Ces exemples plaident pour un élargissement, non pour une abdication, du principe méritocratique.

Autrement dit, si l’on veut bien séparer la méritocratie de son avatar néolibéral, elle demeure une boussole morale : elle rappelle que la dignité de chacun s’enracine autant dans les ressources reçues que dans la manière dont on les féconde. N’est‑ce pas là, en définitive, le sel même de nos parcours ?

Avec amitié

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